Tchaïkovski, Dohnányi
Concerts - Symphonic

Date
- Apr 3, 2020 à 8:00 PM
- Apr 4, 2020 à 4:00 PM
Duration
2h env.
Tariffs
de 10€ à 30€
étudiants 5€
*** ÉVÈNEMENT ANNULÉ CAUSE MESURES COVID-19 ***
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[ Orchestre Philharmonique de Nice ]
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Concerto pour piano n°1 en si bémol mineur, opus 23
Ernst von Dohnányi
Symphonie n°1, opus 9
(concert dédié à la mémoire de Piero Farulli à l'occasion du centenaire de sa naissance)
Piano Miroslav Kultyshev
Direction musicale György G. Ráth
Note de György G. Rath
Ernő Dohnányi, l'artiste oublié ou la victime de la jalousie
Il n'est aujourd'hui malheureusement pas honteux de ne pas avoir entendu parler de Ernő Dohnányi, et encore moins de ne pas avoir entendu une seule de ses œuvres.
Cela n'a pas toujours été de la sorte; au début du 20ème siècle, on peut le dire sans crainte, il était la figure la plus déterminante de la vie musicale hongroise.
Il est né en 1877 à Bratislava, aujourd'hui en Slovaquie, mais à l'époque cette ville s'appelait Pozsony et appartenait à la Hongrie.
Son père était professeur et violoncelliste amateur, d'un niveau tel qu'il pouvait jouer de la musique de chambre avec Franz Liszt.
Dohnányi apprend à jouer du piano et de l'orgue, il compose et il est le premier, à l'âge de 17 ans, à choisir Budapest plutôt que Vienne pour poursuivre ses études dans l'Académie de musique ouverte depuis peu par Franz Liszt en 1875. Il devient l’élève de István Thomán qui était lui-même élève de Liszt. Il apprend la musique de chambre avec Jenő Hubay, célèbre violoniste virtuose, avec qui il donne fréquemment des concerts.
Sa carrière progresse à une vitesse incroyable. A 18 ans, il présente - par l'entremise d'Arthur Nikisch - son premier opus, un quintette avec piano en do mineur, à Johannes Brahms qui indique alors qu'il ne l'aurait lui-même pas mieux écrit. Il donne aussitôt son programme à Vienne. Comme pianiste il joue avec Hans Richter qui l'invite immédiatement à Londres. On compare le jeu du jeune musicien à Emil von Sauer et Eugen d’Albert. Paderewski l'invite à Londres pour un duel de piano. Il remporte le prix Bösendorfer à Vienne avec son Concerto pour piano en mi mineur et il n'a pas 30 ans quand on lui propose le poste de professeur de piano à l'académie royale de musique de Berlin en 1905. Il compose de nombreuses œuvres qui ont beaucoup de succès, y compris des œuvres de scène.
Son parcours aura également une grande influence sur Béla Bartók, avec qui il noue une grande amitié. Jeune étudiant à Bratislava, Bartók suivra l'exemple de Dohnányi en choisissant également Budapest plutôt que Vienne pour poursuivre ses études. Il est difficile d'imaginer ce qu'il serait advenu si Bartók avait grandi avec la musique autrichienne plutôt qu'avec les chants traditionnels hongrois.
Dohnányi est auréolé de capacités musicales légendaires. On dit qu'un jour, il a trouvé un piano désaccordé sur les lieux d'un concert en province et a joué un concerto de Beethoven un demi-ton au-dessus sans hésiter. Un autre jour, Bartók lui joue l'un de ses quintettes pour piano. Des décennies plus tard, alors que Bartók se plaignait de ne plus en retrouver la partition, Dohnányi se met au piano et joue le morceau de mémoire.
Il lui est arrivé d'apprendre le morceau qu'il devait jouer pour un concert dans le train, sans toucher le clavier, avant d'aller l'interpréter au concert. Il avait trop confiance en sa mémoire musicale ce qui a pu parfois lui jouer des tours. C'est ainsi qu'il lui est arrivé d'improviser des éléments entiers en jouant selon le style du compositeur, de telle sorte que même les spécialistes se mettaient à douter de leurs propres connaissances sans penser que Dohnányi avait pu se tromper.
En 1916, Dohnányi revient en Hongrie où il devient aussitôt le centre de la vie musicale. Il commence à enseigner à l'académie de musique et présente immédiatement des propositions pour réformer l'enseignement dans l'institut. Son projet lui apporte naturellement de nombreuses oppositions, mais aujourd'hui encore, on enseigne dans cet institut selon ses principes. Outre son activité de pédagogue, il donne 120 concerts par an. Bartók parlera de cette époque ainsi : « La vie musicale de Budapest, de nos jours, se résume à un seul nom : Ernő Dohnányi. »
En 1919, le « Conseil républicain » lors de la prise de pouvoir communiste, le nomme recteur de l'académie de musique, poste duquel il est renvoyé après la chute du régime. Cependant, le nouveau régime de droite, dirigé par l'amiral Horthy, reconnaît rapidement qu'il n'y a pas de vie musicale hongroise sans Dohnányi. Il est réengagé à l'académie de musique, puis en 1934, il est à nouveau recteur de l'institution. A partir de 1919, il est également pendant 25 ans le directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Budapest. C'est pour cet orchestre que Mahler écrit sa première symphonie et Brahms son deuxième concerto pour piano.
A partir de 1921, il prend de nouveau part à des tournées internationales; le New York State Symphony Orchestra le choisit comme chef d'orchestre principal, mais on le demande aussi comme enseignant à la Juilliard School de New-York ou à l'American Conservatory de Chicago. Il choisit cependant à nouveau la Hongrie.
A partir de 1931, il devient directeur musical de la Radio Hongroise, alors que Bartók accède à plus de reconnaissance. Dohnányi abandonne ses emplois lorsque l'antisémitisme devient trop fort en Hongrie. Il démissionne de son poste de recteur quand on lui ordonne de licencier quelques enseignants juifs. Il dissout l'Orchestre Philharmonique lorsqu'on interdit que des musiciens juifs y jouent. Il part lui-même pour l'étranger, en Amérique, où il enseignera, jouera du piano et dirigera jusqu’à sa mort en 1960.
A la lecture de ces événements, on peut comprendre que la présence de Dohnányi dans la vie musicale hongroise ait gêné de nombreuses personnes. On devient dérisoire à côté de sa grandeur. Il lui a été d'abord reproché de ne pas être hongrois, puis d’être communiste, puis nationaliste et enfin le valet des juifs. Mais le plus consternant se produit à la fin de la guerre lorsque des envieux parviennent à le faire inscrire sur la liste des criminels de guerre en raison d'une seule et unique photographie où on le voit serrer la main du dirigeant d'alors du parti nazi, Szálasi. Il sera rapidement blanchi mais beaucoup ne souhaitent pas son retour en Hongrie. On le réduit au silence comme s'il n'avait jamais existé. On ne joue plus ses œuvres, on ne cite plus son nom. On s'efforce de faire disparaître des mémoires sa célébrité même.
L'auteur de ses lignes avait déjà 30 ans lorsqu'il eut dans les mains, pour la première fois, une partition de Dohnányi, partition qui l'enchanta immédiatement. Depuis, avec plusieurs compagnons musiciens, il nous paraît être un devoir de redonner à ce musicien si important la place qu'il mérite dans l'histoire de la musique hongroise et internationale.
En 2001, finalement, un institut Dohnányi a été fondé à Budapest, dans le but de protéger et promouvoir le travail du compositeur.
Les œuvres de Dohnányi s'inscrivent dans les traces des grands romantiques: Brahms, Bruckner ou Tchaïkovski. S'il passe parfois pour quelqu'un de rétrograde, n'oublions pas que lorsqu'il a commencé à écrire, ces compositeurs vivaient encore. N'oublions pas non plus qu'à l'exception de Liszt, la Hongrie n'a pas eu d'autre compositeur symphonique. Bartók, par exemple, admirait tellement sa première symphonie qu'il savait la jouer au piano de mémoire et que la forme en cinq mouvements qui structure tout son travail provient précisément de la symphonie de Dohnányi.
Les œuvres de Ernő Dohnányi n'apportent peut-être pas grand chose de nouveau dans le développement de la musique, mais c'était un compositeur exceptionnel, un grand musicien aux créations expressives et - je l'affirme – un auteur d'œuvres magnifiques.